
Linda Lerallu, socio-esthéticienne, achève cette manucure par un massage hydratant. © Emilie Lay
La lime va et vient en mouvement régulier sur les ongles du malade. Linda Lerallu, socio-esthéticienne achève cette manucure par un massage hydratant. Entre ses mains, Michel a l’air d’un coq en pâte. « Si vous voulez un massage du dos la prochaine fois, sourit-elle, dites aux filles et elles vous inscriront. »
Les filles, ce sont les infirmières du service d’immuno-hématologie de l’hôpital Saint-Louis (Ap-Hp), à Paris. Dans ce service où l’on traite des cancers (myélomes, lymphomes…) ne guérissant jamais totalement, on sollicite la socio-esthéticienne surtout pour détendre les malades.
Ce soin de support est indiqué dans les services de soins palliatifs et de cancérologie, ou encore en gérontologie, en psychiatrie… « La socio-esthétique est intéressante lorsque le séjour ou la maladie sont longs », note Linda Lerallu. Formée au Codes (cours d’esthétique à option humanitaire et sociale) de Tours, seul diplôme officiellement reconnu, elle a complété son CAP Esthétique par une connaissance des pathologies et des règles d’hygiène hospitalières, des modules de psychologie, de dermatologie, de gynécologie…
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Projet de soins global
Au-delà du bien-être procuré, la socio-esthétique aide à gérer les effets secondaires des traitements du cancer. La peau sèche, « des pseudo acnés apparaissent, les odeurs corporelles se modifient… » illustre Eliane Seins, infirmière coordinatrice au centre hospitalier Saint Joseph Saint Luc, qui prend en charge des cancers pulmonaires, digestifs et urologiques, « avec des espérances de vie courtes. »
A charge donc pour les socio-esthéticiennes d’adapter leurs soins, en concertation avec les soignants. « Je me renseigne sur les réactions liées aux traitements, des allergies, des oedèmes, ou une position à maintenir après une ponction de moelle, précise Linda Lerallu. En fonction de cela, je localise le soin sur le visage ou une partie du corps… »
Et les bénéfices sont tangibles. « Les patients sont plus souriants. D’autres sont fiers de nous montrer leur manucure, constate Noémie Baré, infirmière dans le service d’immuno-hématologie de l’hôpital Saint-Louis. Or, l’état psychologique est important. On a coutume de dire que cela représente 50 % du traitement. »
Recouvrer son identité
De fait, ce soin de support s’inscrit dans un projet thérapeutique global. « En psychiatrie, on fait en sorte que la personne retrouve son unité corporelle grâce aux massages. Il peut aussi s’agir d’amener quelqu’un qui n’a plus goût à rien à s’occuper de soi à nouveau. Et cela peut prendre dix séances. Pour Julie Merlin, socio-esthéticienne au CHRU Bretonneau, à Tours, et formatrice au Codes C’est un investissement permanent. »
Nettoyage de peau, maquillage, conseils sur les foulards… Cette praticienne fabrique en outre des pochoirs personnalisés, afin que les patients puissent redessiner seuls leurs sourcils. « C’est tout l’intérêt de rencontrer la personne avant sa chimiothérapie. » Outre une belle image, la socio-esthétique permet de recouvrer son identité, telle qu’elle existait avant sa maladie.
Et cela concerne tant les patients que l’entourage. « Lorsqu’en plus de la maladie, il y a une dégradation physique et psychologique, c’est un double coup de massue pour la famille. C’est surtout flagrant en oncopédiatrie. » Julie Merlin y rencontre des parents visiblement affectés. « Entre l’annonce du diagnostic puis les traitements, on ne les reconnaît plus. J’entends des enfants demander à leur maman pourquoi elle ne se maquille plus. Je fais en sorte qu’elles recommencent à s’occuper d’elles. »
Rétablir les liens familiaux
La socio-esthétique se révèle aussi un médiateur, visant à rétablir les liens familiaux. « Les parents n’osent plus toucher leur enfant car ils culpabilisent ou craignent de lui faire mal…, observe Julie Merlin. Des enfants se renferment : ce sont leurs parents qui les ont emmenés ici où ils subissent des traitements qui les détruisent. » Pour y remédier, elle partage ses protocoles de massage. Parents et enfants peuvent renouer par ce biais.
Retrouver le goût – ou perdre la peur – des contacts corporels constitue un autre apport de la socio-esthétique. Car une distance se creuse parfois dans les couples suite à la maladie. « Certaines femmes me disent qu’elles ne font plus rien avec leur mari », souffle Linda Lerallu.
Ce soin intimiste et long – trente minutes à deux heures – favorise la confidence. Des femmes évoquent des difficultés sociales, familiales et même « des questions intimes quand elles me connaissent bien : les traitements dessèchent beaucoup. Alors je les dirige vers la psychologue du service. » La socio-esthétique est curative « à condition de travailler en équipe, conclut Linda Lerallu. Et ici, c’est vraiment le cas. »